vendredi 16 juillet 2010

Le Printemps Tunisen: une opposition de styles

L'activité et le débat blogosphériques ont été, au printemps, particulièrement intenses. D'abord, il y a eu la grande vague de censure d'avril qui a frappé la blogosphère et de nombreux autres sites, puis il y a eu les actions anti-censure Sayeb Sala7 et nhar3la3ammar qui ont finalement débouché sur la manif du 22 mai (hors ligne!) initiée par Slim et Yassine. Mais entre ces deux grands évènements (la vague de censure et la manif), une autre action est venue faire couler beaucoup d'encre...

Plusieurs blogueurs ont en effet décidé de publier une lettre (personnellement, je ne pense pas qu'il soit important de savoir qui l'a écrite) ouverte au Président de la République, lui demandant de cesser la censure du net tunisien et pour cela insistant notamment sur les acquis du l'ère Ben Ali, sur ses efforts pour promouvoir l'essor du net, etc.

Cette lettre a suscité le désaccord de certains internautes, à commencer par l'équipe de Takriz. Si, personnellement, je ne voulais pas relayer une telle lettre, je comprends la tactique utilisée par ces blogueurs. De même, je comprends tout à fait (puisque, à titre personnel, je préconiserai plutôt une telle tactique) la position de Takriz, M. Yahyaoui and co, prônant une critique plus frontale, moins mielleuse.

Selon moi, dans cette controverse, les positions des uns et des autres sont donc compréhensibles. La seule reproche claire que je ferais, concerne le ton inquisiteur et insultant des Takrizards, un ton assurément nuisible à la lutte contre la dictature de Ben Ali, lorsqu'il ne s'adresse pas à celle-ci mais à d'autres Tunisiens qui, sans l'avouer aussi clairement, souhaitent aussi un changement et cherchent à agir (avec modération, certes) pour l'obtenir... En général, j'apprécie beaucoup le style Takriz, sans langue de bois, sans chichis, mais sur ce coup, je n'adhère pas (pour rappeler le B.A.-BenAli de la lutte contre la dictature tunisienne, l'ennemi n'est pas une population d'internautes modérés mais bien cet inculte qui maquille tous les problèmes de son pays, à commencer par sa g.....).

Non, ce que je voudrais simplement souligner, c'est qu'on assiste là à une opposition typique entre deux formes de résistance, l'une détournée, indirecte, l'autre beaucoup plus frontale, directe, mais qui s'accompagne bien souvent d'un anonymat, considéré alors - et à juste titre - comme une arme de survie, comme le disent les Takrizards.

Bien entendu, ces deux tactiques et le différend qui oppose leurs défenseurs ne datent pas d'hier et n'existent pas qu'au pays du Jasmin. Notons que la lettre des blogueurs tunisiens, vantant les mérites du régime benaliste, est CONSCIEMMENT (et TACTIQUEMENT) hypocrite, c'est-à-dire que les blogueurs qui l'ont publiée, en tout cas la plupart, savent très bien que, derrière ces censures à répétition, se cache bel et bien ZABA. Dans l'empire tsariste, par exemple, il arrivait fréquemment que des paysans russes se plaignent auprès du Tsar des erreurs et trahisons de son administration, insistant sur le fait que celle-ci ne respectait pas la volonté et les promesses du Tsar. Ils appelaient ainsi le Tsar à faire honneur à sa vertu, à sa grandeur, pour faire enfin respecter sa volonté... Et pourtant, en "privé", ces mêmes paysans ne manquaient pas de remettre en cause ce Tsar soi-disant trompé par son administration... Une critique dont l'argument-clé est donc le pragmatisme.

Les Takrizards et d'autres internautes, eux, défendent donc une contestation beaucoup plus frontale, dont l'ennemi n°1 est bel et bien ZABA.

Si on revient en arrière, on verra que cette tension entre deux formes de critique différentes a traversé toute l'histoire du net citoyen, mais qu'elle est apparue clairement seulement lors de certaines évènements, comme la publication de cette lettre, appelée "Lettre de la Honte" par Takriz. Si cette différence génère une division peu souhaitable au sein d'une population d'internautes - qui, pourtant, a au moins en commun de vouloir mettre fin à la mainmise du régime benaliste sur le net tunisien -, elle ne s'effacera pas du jour au lendemain, surtout pas en dénigrant l'un ou l'autre camp. Dés lors, pourquoi ne pas essayer de vivre avec? Au moins pour le moment?... TACTIQUEMENT et TAKRIZEMENT, ne serait-ce pas plus judicieux?

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